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Photo du rédacteurRémi Fouque

« L’encrage » du tatouage dans la jurisprudence française

Quelle est l’importance du tatouage dans la jurisprudence française ? A travers plusieurs exemples choisis, le cabinet MARS-IP vous informe !


Certains fans inconditionnels de l’acteur espagnol Alvaro Mel auront remarqué que, dans les scènes de la série Netflix « Un conte parfait », un de ses tatouages a été recouvert par la magie du maquillage, selon la réalisatrice Chloe Wallace pour des « questions de droits » : en effet, le tatouage en question représentait le personnage du Sans-Visage, issu du film d’animation de Hayao Miyazaki « Le Voyage de Chihiro ». Partant de cette anecdote, il est intéressant de s’interroger sur ces « questions de droit » en regardant d’un peu plus près les liens ténus entre tatouage et propriété intellectuelle. Concrètement, l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle rappelle que la protection par le droit d’auteur s’applique à « toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ». Rien n’empêche donc d’accorder la protection du Code de la propriété intellectuelle à un tatouage, bien que la doctrine impose la matérialisation de l’œuvre ainsi que son originalité pour pouvoir lui accorder ladite protection.


La jurisprudence apporte un regard contrasté sur le tatouage, entre contrat illicite (I), taxe professionnelle (II) et protection du droit d’auteur (III).


I - Tatouage et illicéité de l’objet du contrat : l’affaire de « la jeune fille à la rose »


Une histoire comme celle-ci ne pouvait pas se dérouler ailleurs qu’en France, en 1965. Le contrat d’une jeune actrice mineure du documentaire « Paris Secret » prévoyait qu’elle se ferait tatouer une Tour Eiffel entrelacée d’une rose : ledit tatouage serait alors chirurgicalement prélevé de la peau de la jeune fille, afin d’être revendu ultérieurement. Une fois majeure, celle-ci a assigné l’équipe du film et la société de production en annulation du contrat et en dommages et intérêts.

En 1969, le jugement rendu par le TGI de Paris contenait la disposition suivante : « est manifestement immorale la clause d’un contrat tendant à obtenir qu’une personne, et particulièrement une mineure, pose nue dans un film et s’y soumette à des agissements, en l’occurrence un tatouage sur une partie corporelle que le commentateur annonce au public comme devant être prélevée et vendue à un tiers »[1]. L’arrêt de la Cour de Cassation rendu en 1972 rajoute en sus la présence d’une « faute personnelle en engageant une mineure dans des conditions immorales et illicites ». En effet, le respect du au corps humain édicté à l’article 16-1 du Code civil, une convention rend dont l’objet est la vente d’un organe du corps humain est illégale en droit français.[2]


II - La reconnaissance implicite du tatouage comme œuvre d’art par la justice administrative


Paiement de cotisations de taxes professionnelles et statut d’œuvre d’art du tatouage : même si le rapport entre les deux ne saute pas aux yeux dès le premier abord, un arrêt de la Cour Administrative de Paris en date du 26 novembre 2010 a été amené à trancher la question. Cet arrêt relate les faits suivants : une tatoueuse avait saisi la justice administrative afin de faire reconnaitre son droit à exonération de la taxe professionnelle entre 2000 et 2004, en arguant que sa profession entrait dans les critères d’exonération de l’article 1460 du Code général des impôts, concernant « Les peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs considérés comme artistes et ne vendant que le produit de leur art ».

Si la Cour administrative a rejeté cette prétention en appel, elle a toutefois reconnu que « les tatouages qu'elle réalise sont des œuvres originales exécutées de sa main, selon une conception et une exécution personnelles, et qui présentent une part de création artistique »[3], ce qui confère au tatouage un statut certain et cimente sa faculté à être accepté comme œuvre de l’esprit devant les prétoires.


III - Le tatouage de Johnny Hallyday


Dans les années 1990, Jean-Philippe Daurès, artiste tatoueur, réalise un tatouage sur le bras du célèbre chanteur français Johnny Hallyday représentant un aigle. Or, les sociétés Polygram et Western Passion décident de commercialiser des jaquettes de CD-ROM et de DVD-ROM, affiches et tee-shirts reproduisant le dessin du tatouage. S’estimant lésé, M. Daurès, ayant préalablement déposé ledit dessin auprès de l’INPI comme dessin le 24 novembre 1992 afin de garantir sa protection, décide d’ester en justice en contrefaçon. Si l’argument principal des sociétés réside dans l’idée que le tatouage fasse partie intégrante de l’image de l’artiste, la Cour d’Appel de Paris rend une décision en faveur de l’artiste tatoueur, au moyen que « la société Polygram et la société Western Passion ont reproduit, non pas une photographie de Johnny Hallyday sur laquelle serait visible le tatouage de celui-ci, mais le dessin de ce tatouage dont Jean-Philippe Daurès est l’auteur et sur lequel Johnny Hallyday ne possède ni ne peut céder de droits. Il en découle que les sociétés Polygram et Western Passion ne peuvent utiliser ce dessin de façon distincte, sans l’autorisation de l’intimé; qu’à défaut d’une telle autorisation, elles ont porté atteinte aux droits patrimoniaux de l’auteur ».[4]

A noter que l’arrêt énonce tout de même que si l’auteur du tatouage peut s’opposer à l’utilisation distincte sans son consentement, il en va différemment pour la photographie de celui qui porte le tatouage, qui ne porte pas atteinte au droit d’auteur et relève des droits de la personnalité de la personne tatouée.


Conclusion


Si le manque de reconnaissance concrète du statut du tatouage dans le Code de la propriété intellectuelle entretient un certain flou, la jurisprudence continue de faire évoluer son statut lentement mais sûrement. Rappelons à cet égard que l’Assemblée Nationale a estimé en 2020 que « la réalisation d’un tatouage est (…) une prestation de services qui est soumise au taux normal de 20 % de la taxe sur la valeur ajoutée », ce qui fait du tatoueur un prestataire de services et non un artiste.


Que penser alors de l’artiste belge Wim Delvoye, ayant réalisé un tatouage recouvrant l’entièreté du dos du suisse Tim Steiner, et qui sera retiré par chirurgie à la mort de ce dernier ? Bien que cette convention soit légitimée par la loi suisse sur la prostitution, une telle chose serait tout bonnement impossible en droit français : autres systèmes juridiques, autres mœurs…


Rémi Fouque

Marie-Avril Roux Steinkühler


[2] Code civil, article 16-1 : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial »

[3] Cour Administrative d'Appel de Paris, 7ème chambre , 26/11/2010, 09PA01836 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000023218659 


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