Contrefaçon et concurrence déloyale : un même acte matériel peut caractériser des faits distincts dans l’affaire « Facebook / Fuckbook »
- Marie-Avril Roux Steinkühler

- il y a 3 jours
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⚖️ Cass. com., 26 mars 2025, n° 23-13.589, publié au Bulletin
Par un arrêt publié au Bulletin, la chambre commerciale opère un quasi-revirement de jurisprudence retenant qu’ « un même acte matériel peut caractériser des faits distincts s’il porte atteinte à des droits de nature différente. »
👉 La Cour admet donc qu’un seul comportement puisse fonder plusieurs fautes, dès lors que les droits atteints diffèrent par exemple, la marque, le nom commercial et le nom de domaine.
💼 En l’espèce, la société Meta Platforms Inc., titulaire des marques de l’Union européenne « Facebook » et exploitant le nom commercial et le nom de domaine facebook.com, agit contre la société Cargo Media AG, exploitant le site fuckbook.com, un réseau de rencontres à caractère sexuel.
Les juges d’appel retiennent :
⭐ la renommée des marques Facebook ;
🔠 la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle entre Facebook et Fuckbook ;
🔁 un risque de confusion entre les signes pour des services similaires ;
🧭 et enfin, une atteinte distincte aux signes d’identification de l’entreprise (nom commercial et nom de domaine).
La Cour de cassation valide pleinement la motivation de la cour d’appel : « L’arrêt a exactement énoncé que ces atteintes constituaient des faits distincts de concurrence déloyale, s’agissant de sanctionner un comportement fautif différent occasionnant un préjudice distinct. »
Cependant, invoquer cumulativement la contrefaçon et la concurrence déloyale est une stratégie bien connue des praticiens. Soumis au principe de concentration des moyens, ils doivent « faire feu de tous fondements » dès la première instance, sous peine d’irrecevabilité en appel.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation maintenait une séparation stricte entre la violation d’un droit privatif (contrefaçon) et la violation d’un devoir de loyauté (concurrence déloyale). Cette distinction visait à éviter que la responsabilité civile ne serve à contourner le droit de propriété intellectuelle. Les juges du fond devaient donc caractériser des faits distincts pour chaque action.
📜 Depuis l’arrêt Bollé (Cass Com., 12 juin 2007, n° 05-17.349), la solution variait selon la hiérarchie des demandes :
À titre subsidiaire, les faits n’avaient pas à être matériellement distincts en cas d’échec de l’action en contrefaçon.
À titre complémentaire, en revanche, lorsque la contrefaçon était retenue, la concurrence déloyale ne pouvait prospérer que sur des actes matériellement distincts.
L’arrêt du 26 mars 2025 rompt ainsi avec cette distinction : il admet qu’un même acte matériel puisse caractériser des faits distincts, dès lors qu’il porte atteinte à des droits de nature différente.
💡 La Cour encadre néanmoins le cumul par le principe de la réparation intégrale (art. 1240 c. civ.) : « Un même préjudice ne peut faire l’objet d’une double indemnisation. »
Autrement dit :
la contrefaçon répare l’atteinte au droit privatif (la marque),
la concurrence déloyale répare le préjudice propre causé à la distinctivité du nom commercial ou du nom de domaine.
👉 Ainsi, la solution favorise une approche plus pragmatique et plus protectrice des entreprises dont l’identité repose sur un ensemble de signes distinctifs (marque, nom commercial, nom de domaine).
Mais elle brouille la frontière entre les deux régimes de responsabilité : la distinction des faits distincts devient presque artificielle, tempérée seulement par la distinction, parfois tout aussi formelle des préjudices.
Reste à savoir si cette convergence marque une véritable unification des fautes en matière de signes distinctifs, ou un simple ajustement opportuniste du contentieux économique contemporain. Image : Pixabay




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