top of page
  • Photo du rédacteurMarie-Avril Roux Steinkühler

🇫🇷 - Clickbaiting - la jurisprudence allemande sur le droit à l'image

Dans deux affaires du 21 janvier 2021 impliquant deux célébrités, la Cour de justice fédérale allemande affine encore sa jurisprudence sur le droit à l’image. Elle sanctionne la diffusion de photographies non-autorisées pour atteinte au droit patrimonial à l’image des personnes concernées, et leur alloue une licence forfaitaire sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

https://unsplash.com/photos/F3Dde_9thd8?utm_source=unsplash&utm_medium=referral&utm_content=creditShareLink
Photo by NordWood Themes on Unsplash

I. Les faits


Une première affaire (I ZR 120/19) oppose un présentateur de télévision qui reproche à un annonceur d’avoir utilisé sa photo, avec celle de trois autres personnes, dans le cadre d’une annonce indiquant « Un de ces présentateurs de télévision doit prendre sa retraite en raison d’un CANCER ».


Le présentateur considère que son image a été utilisée en tant que ‘piège-à-clique’ (« Clickbaiting » ou « Klickköder ») pour générer du trafic sur le site de l’annonceur et réclame le montant de la licence éludée sur ses droits à l’image.


Une seconde affaire (I ZR 207/19) oppose un acteur allemand ayant interprété le rôle du Capitaine dans la série très populaire en Allemagne de 2014 à 2019 « Das Traumschiff » (sorte de « Croisière s’amuse ») à un journal en ligne ayant utilisé sa photo et son nom pour illustrer un appel à participation à un concours payant pour gagner une croisière « Urlaubslottos ».


Dans les deux cas, aucune autorisation n’avait été accordée comme le prévoit pourtant le §22 KUG, la loi de 1907 sur les droits d'auteur sur les œuvres d'art et la photographie. Les deux réclament le paiement d’une indemnité appropriée.


II. La décision de la Cour en droit


La Cour fédérale allemande donne raison aux deux demandeurs aux regards des droits de la personnalité (« Persönlichkeitsrechts ») et confirme les décisions des cours d’appel.


Dans le premier cas, la Cour estime que l’usage d’une image comme appât afin de générer du trafic porte atteinte au droit patrimonial de la personne sur son image. Et l’usage en question ne peut être justifié par un lien avec l’actualité (§ 23 Abs. 1 Nr. 1 KUG) et nécessiter l’habituelle mise en balance des intérêts entre les droits de la personnalité et le droit à l’information du public.


Les tentatives de justifications tenant au financement et à la liberté de la presse sont ainsi écartées au profit du demandeur auquel on ne peut imposer que son image soit utilisée gratuitement par la presse pour annoncer des contributions éditoriales qui ne le concernent pas. Les 20.000€ qu’il réclame lui sont alloués à titre de licence éludée sur le fondement de l’enrichissement sans cause (§ 812 Abs. 1 Satz 1 BGB).


Dans le second cas la Cour souligne que l’usage d’une photo et du nom d’une personne à des fins publicitaires relève des droits de la personnalité qui sont en l’espèce transgressés par le transfert de l’image du plaignant tirée de la série populaire vers le concours payant organisé par le défendeur.


Suivant le même raisonnement, les intérêts du demandeur au regard des droits de la personnalité sont reconnus dominants car la publication du portrait n’apporte pas une contribution significative à la formation de l’opinion publique. Pour autant, la sommation de communication du nombre d’exemplaires tirés du journal pour chiffrer son dommage est rejetée, la Cour le renvoyant aux informations publiées par un institut d’information.


III. Ce qu’il faut retenir


Dans le cadre de ces deux affaires, la Cour a pu préciser les critères d’appréciation du respect des droits de la personnalité et de l’évaluation de l’indemnisation qui peut en résulter :


  • la valeur exceptionnelle du marché et de la publicité ;

  • la popularité exceptionnellement élevée du demandeur ;

  • l’usage de l’image en indiquant comme plausible le cancer du plaignant (importance essentielle dans la détermination du montant de la redevance) ;

  • le type de publicité, publicité d’attention – Aufmerksamkeitswerbung – en comparaison avec la publicité de témoignage – Testimonial-Werbung) ;

  • le caractère symbolique de la photo (évoquant la croisière) – doit être pris en compte lors de la pondération des intérêts et non comme un élément séparé de la personne du plaignant ;

  • l’usage de l’image à des fins majoritairement commerciales – revêt à juste titre une importance décisive dans la balance des intérêts ;

  • le lien subordination fonctionnelle – funktional untergeordnet – entre l’usage de l’image et la publicité (créé un lien mental – gedankliche Verbindung – dans l’esprit du public qui profite indument à l’annonceur).


La Cour fédérale poursuit la délimitation des droits de la personnalité dans ce contexte qui cette fois-ci, se sont imposés face à la liberté de la presse dans le cadre d’une balance des intérêts. Voyez également notre article sur une décision relative au droit à l’oubli impliquant les droits de la personnalité dans laquelle la Cour a souligné l’intérêt de la presse à tenir ses archives à la disposition du public de manière aussi complète et inaltérée que possible.


Quentin Dequiret et Marie-Avril Roux

bottom of page