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  • Photo du rédacteurMarie-Avril Roux Steinkühler

Seule la liberté d’expression peut justifier une parodie !

Le titulaire d’une marque possède un monopole d’exploitation sur les produits et services désignés par la marque[1]. Ainsi, il est impossible de reproduire ou d’imiter une marque dûment déposée et enregistrée.


La problématique est la suivante : une marque peut-elle être détournée sous le couvert de l’humour et de la liberté d’expression ? Ou sont-elles strictement et sévèrement protégées afin de préserver les intérêts économiques du détenteur de la marque ? La parodie s'oppose-t-elle aux droit d'une marque déposée ?


En principe, une marque ne peut pas être tournée en dérision (I). Mais il existe des exceptions fondées sur la liberté d’expression et sur la liberté artistique, corolaire de la liberté d’expression (II).


I. EN PRINCIPE LE DROIT DES MARQUES NE CONNAIT PAS L’HUMOUR…


Afin de protéger son monopole d’exploitation, le titulaire d’une marque peut agir sur deux fondements : l’action en contrefaçon (A) et l’action en concurrence déloyale, à travers le prisme du parasitisme (B).


A. L’action en contrefaçon et le risque de confusion


Le droit des marques a une vocation purement économique. Son objectif est de garantir l’origine du produit sur lequel la marque est apposée, afin d’augmenter la valeur dudit produit et de le reconnaître. Aux termes de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, est interdit la reproduction de la marque pour des produits similaires et pour des imitations de marque.


Selon le célèbre arrêt HOFFMAN LAROCHE, la fonction essentielle de la marque est de permettre au consommateur de distinguer « sans confusion possible » les produits de son titulaire des produits qui ont une autre provenance[2]. Or, porte atteinte à cette fonction, celui dont les actes matériels ont pour effet d’introduire la confusion dans l’esprit du public.


Sur ce fondement, a été reconnue une atteinte aux marques de PERNOD RICARD par l’usage détourné des marques RICARD et PASTIS 51. Lesdites marques avaient été apposées sur des jeux d’ambiances et des T-shirt accompagnés de slogans tels que « Je préserve la couche d’eau jaune »[3].


Dès lors que le détournement de marques vise à promouvoir la commercialisation de produits ou de services concurrents, aucune exception au droit des marques ne peut s’appliquer.



B. Le parasitisme, protection reine des marques de renommée


La concurrence déloyale est interdite. Le parasitisme est une forme de concurrence déloyale. Il représente l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre, afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.


En droit des marques, lorsqu’un tiers tente par « un signe similaire à une marque renommée de se placer dans le sillage de celle-ci afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de cette marque, le profit résultant dudit usage doit être considéré comme indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque »[4].


Par exemple, des marques PETIT NAVIRE, LE BON GOUT DU LARGE, DARNE DE THON AU NATUREL, l’emploi sur des tee-shirts, des expressions « Petit chavire », « Le mauvais goût du large », « Thon au fuel Petit chavire », associées au dessin d’un navire Amoco en train de faire naufrage[5], constituent des atteintes aux marques de renommée.


Par conséquent, la commercialisation de t-shirts qui reprennent une marque en la détournant et en la parodiant est formellement interdite.





Il apparait de ces décisions que l’articulation entre le droit des marques et les exceptions précitées est plus délicate lorsqu’il s’agit d’atteintes à l’encontre de marques de renommées. Les marques de renommées ne supportent vraiment pas l’humour, pourtant ce sont elles qui sont le plus tournées en dérision !


II. LA PARODIE, UNE EXCEPTION EN DROIT DES MARQUES


Lorsque le juge est saisi d’une demande en contrefaçon, il doit mettre en balance les intérêts en présence. Il étudie notamment si le présumé usurpateur peut bénéficier de l’exception de parodie, notion du droit d’auteur (1), ou de la liberté d’expression (2).


A. La liberté d’expression, au service de l’intérêt général


La liberté d’expression est protégée par les articles 11 de la Charte des droits fondamentaux et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En droit français, la liberté d’expression est consacrée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui dispose qu’il s’agit d’un « des droits les plus précieux de l’Homme ».


Cette liberté fondamentale peut justifier une atteinte possible au droit des marques. Les affaires opposant GREENPEACE à des compagnies pétrolières en raison de campagnes publicitaires à partir d’un signe en ont fait l’objet.


En l’espèce, l’association GREENPEACE a modifié la marque AREVA en l’associant à une tête de mort et au slogan « Stop plutonium, l’arrêt va de soi ».


Les juges de la haute juridiction ont considéré que ces associations qui ont agi « conformément à leur objet, dans un but d’intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin, n’avaient pas abusé de leur droit de libre expression »[6].


La Cour de Justice de l’Union Européenne a également utilisé la liberté d’expression en tant que régulateur. Elle a affirmé que cette liberté est un élément permettant d’apprécier la validité d’une marque[7].


B. L’exception de parodie, protection de la liberté artistique

L’exception de parodie en droit d’auteur est régie par l’alinéa 5 de l’article L.112-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». La parodie s’apprécie par la simple intention de vouloir détourner l’objet en dérision, à condition que la nouvelle œuvre ne soit pas empreinte d’une volonté de nuire[8].


Andy WARHOL est la figure du détournement et de la réutilisation de slogans, de campagnes publicitaires et de marques, afin de créer des œuvres artistiques. En 1962, la Campbell’s Soup Cans, œuvre détournant la célèbre marque CAMPBELL, est exposée à la galerie Ferus de New York.


Cette œuvre n’a pas été interdite dès lors que l’auteur ne poursuit pas de finalité économique et que la liberté artistique, découlant de la liberté d’expression doit primer. « L’art a un pouvoir extraordinaire d’exprimer la résistance et la rébellion, la protestation et l’espoir. Il apporte une contribution essentielle à toutes les démocraties prospères ».


Marie-Avril Roux-Steinkühler et Atalante Gabelli

[1] Article L713-1 du Code de la propriété intellectuelle [2] CJCE, 22 juin 1976, aff. C-119/75, TERRAPIN. - CJCE, 23 mai 1978, aff. C-102/77 HOFFMAN LAROCHE [3] CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 11 déc. 2015, n° 14/23109 : JurisData n° 2015-027964 ; PIBD 2016, n° 1042, III, p. 82 [4] CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, BELLURE, pt 49 : Propr. industr. 2009, comm. 51, nos obs. [5] CA Rennes, 2e ch., 27 avr. 2010, Sté JBC Holding c/ Éts Paul Paulet et a. : PIBD 2010, n° 922, III, p. 493 [6] Cass. 1re civ., 8 avr. 2008, n° 07-11.251, FS-P+B+I, Assoc. Greenpeace France c/ SA SPCEA Areva [7] Cour de justice de l’Union européenne (5e ch.), 27 février 2020, aff. C-240/18 (P), arrêt Fack Ju Göhte [8] Civ. 1re, 12 janv. 1988: Bull. civ. I, no 5; D. 1988. Somm. 207, obs. Colombet; RTD com. 1988. 227, obs. Françon; RIDA juill. 1988, p. 98, note Françon

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