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  • Photo du rédacteurRémi Fouque

Au « Pays des merveilles » de l’intelligence artificielle et de sa relation avec le droit d’auteur

Le perfectionnement toujours plus poussé des intelligences artificielles, capables de générer textes, illustrations et musiques, nous pousse à définir leur cadre juridique, notamment vis-à-vis de la propriété intellectuelle. Le cabinet MARS-IP vous informe !


Utiliser une intelligence artificielle nous donne la même sensation qu’Alice tombant dans le terrier du lapin blanc : accéder à une sorte de « Pays des Merveilles », un monde fabuleux où les possibilités semblent infinies, mais dont les contours restent flous, nébuleux et incertains. Ceci est d’autant plus vrai sur le plan juridique lorsque l’on confronte les progrès de l’intelligence artificielle, désormais capable de générer des images, dessins ou textes d’une qualité indéniable, au droit de la propriété intellectuelle : une œuvre générée par intelligence artificielle jouit-elle de la protection par le droit d’auteur (I) ?  Une telle intelligence viole-t-elle les règles de la propriété intellectuelle (II) ? Et enfin, quels seront les apports du futur règlement européen visant à réguler l’intelligence artificielle (III) ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre, dans une approche juridique comparée entre droits français et allemand.


I – Une œuvre produite par intelligence artificielle ne bénéficie généralement pas de la protection par le droit d’auteur


Selon l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », ce qui implique la présence d’un auteur pour pouvoir prétendre à la protection par le droit d’auteur. On retrouve cette subtilité à l’article §2 de la Urheberrechtsgesetz (« UrhG »), « au sens de la présente Loi, seules les créations personnelles de l’esprit sont des œuvres  »[1], mais aussi à l’article 7 : « l’auteur de l’œuvre est son créateur »[2]. On ne pourrait donc pas dire, par exemple, que ChatGPT est l’auteur du texte généré via la requête du client, car une simple idée ne peut être protégée par le droit d’auteur. Toutefois, la jurisprudence française nous apprend que « une œuvre de l’esprit même créée à partir d’un système informatique peut bénéficier des règles protégeant les droits d’auteur, à condition qu’elle laisse apparaître même de façon minime l’originalité qu’a voulu apporter son concepteur »[3], ce qui classifie l’apport informatique comme outil du créateur humain original. La doctrine et la jurisprudence allemandes vont également en ce sens, avec un arrêt rendu par le Landgericht de Munich le 11 novembre 2004, actant la violation du droit d’auteur du créateur d’un site Web.[4] 


Toute la difficulté entre intelligence artificielle et droit d’auteur se trouve ici : quelle part d’action de l’humain dans la création d’une œuvre générée par intelligence artificielle, qui sort de son rôle d’outil du créateur pour devenir un pseudo-créateur ?


Néanmoins, le concept de la protection des bases de données par les droits voisins du droit d’auteur, présent aussi bien en droit français[5] qu’allemand[6], pourrait être une piste de réflexion intéressante, et constituer un biais permettant la protection par le droit d’auteur d’une œuvre générée par intelligence artificielle, si ladite œuvre possède bien une forme.


II – La création générée par intelligence artificielle peut violer le droit d’auteur


Demander à une intelligence artificielle de, par exemple, générer une image de chaton dans le style du peintre français baroque Fragonard ou de l’allemand Caspar David Friedrich ne pose pas de difficulté juridique, leurs œuvres se trouvant dans le domaine public. Tel n’est pas le cas si l’on demande à l’intelligence de générer une image dans le style d’un peintre dont l’œuvre n’est pas encore tombée dans le domaine public (ex : Pablo Picasso, Salvador Dali…). A cet égard, aussi bien le droit français, avec les articles L. 335-2 (« toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ») et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle (« Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ») que le droit allemand avec l’article §97 de la UrhG  (« Toute personne qui porte atteinte de manière illicite au droit d'auteur ou à un autre droit protégé par la présente loi peut être poursuivie par la personne lésée en vue d'obtenir la cessation de l'atteinte ou, en cas de risque de récidive, une injonction »)[7] punissent cette atteinte au droit d’auteur, permettant aux auteurs ou à leurs ayants-droits de réclamer des dommages et intérêts.


Pourrait-on invoquer l’une des exceptions au droit d’auteur ? L’exception de parodie, que l’on retrouve en droit français à l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle et à l’article §51a de la UhrG, permet de réaliser une parodie d’une œuvre existante sans être poursuivi pour contrefaçon. La finalité humoristique doit cependant être prouvée. L’intelligence d’artificielle n’a pas beaucoup d’humour…


Sachant que la base de données d’une intelligence artificielle doit être enrichie de nombreux contenus afin de la faire fonctionner, la question de l’usage d’œuvres protégées par le droit d’auteur et non libres de droit est brûlante. Mais dans les faits, le manque de transparence de certaines intelligences artificielles, la dispersion et les moyens limités dont disposent les ayants-droits empêchent bien souvent leurs actions.

 

III – Le règlement européen en matière d’intelligence artificielle demeure flou en la matière


Si une proposition de règlement visant à réguler l’intelligence artificielle a été discutée le 21 avril 2021, force est de constater que les relations entre intelligence artificielle et propriété intellectuelle n’étaient pas abordées : en effet, les dispositions de ce règlement s’appliquent davantage aux fournisseurs de systèmes d’intelligence artificielle et non à leurs utilisateurs.

Le Conseil et le Parlement Européens sont toutefois parvenus à trouver le 9 décembre 2023 un accord avec l’ajout de « règles relatives aux modèles d'IA à finalité générale et à fort impact susceptibles de créer un risque systémique à l'avenir ainsi qu'aux systèmes d'IA à haut risque ; un système révisé de gouvernance, doté de certains pouvoirs d'exécution au niveau de l'UE ; une extension de la liste des interdictions, s'accompagnant toutefois de la possibilité, pour les autorités répressives, d'utiliser l'identification biométrique à distance dans les espaces publics, sous réserve de garanties ; une meilleure protection des droits grâce à l'obligation pour les déployeurs de systèmes d'IA à haut risque de procéder à une analyse d'impact sur les droits fondamentaux avant de mettre un système d'IA en service »


Il nous faudra attendre au moins jusqu’en 2026 afin d’apprécier la prise en compte effective du respect de la propriété intellectuelle par l’intelligence artificielle au sein des dispositions du futur Règlement Européen...


Le cabinet MARS-IP, spécialisé en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle, vous accompagne et vous conseille dans vos démarches juridiques. Contactez-nous !


Rémi Fouque

Marie-Avril Roux Steinkühler


[1] UrhG §2 (2) : „Werke im Sinne dieses Gesetzes sind nur persönliche geistige Schöpfungen

[2] Ibid. §7 : „Urheber ist der Schöpfer des Werkes.“

[3] CA Bordeaux 31 janvier 2005, SA Saunier c./ SAS Atevi, Comm. com. électr., 2005; JurisData n° 2005-262987

[4] Urteil des Landgerichts München I vom 11. November 2004 – 7 O 1888/04

[5] Article L.112-3 du Code de la propriété intellectuelle : « Il en est de même des auteurs d'anthologies ou de recueils d'œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. On entend par base de données un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen »

[6] UrhG § 4 (2) : « Datenbankwerk im Sinne dieses Gesetzes ist ein Sammelwerk, dessen Elemente systematisch oder methodisch angeordnet und einzeln mit Hilfe elektronischer Mittel oder auf andere Weise zugänglich sind. Ein zur Schaffung des Datenbankwerkes oder zur Ermöglichung des Zugangs zu dessen Elementen verwendetes Computerprogramm (§ 69a) ist nicht Bestandteil des Datenbankwerkes.“ Au sens de la présente loi, une base de données est une œuvre collective dont les éléments sont organisés de manière systématique ou méthodique et sont accessibles individuellement par des moyens électroniques ou d'une autre manière. Un programme informatique (article 69a) utilisé pour créer l'œuvre de base de données ou pour permettre l'accès à ses éléments ne fait pas partie de la dite œuvre « 

[7] „Wer das Urheberrecht oder ein anderes nach diesem Gesetz geschütztes Recht widerrechtlich verletzt, kann von dem Verletzten auf Beseitigung der Beeinträchtigung, bei Wiederholungsgefahr auf Unterlassung in Anspruch genommen werden.“


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